La Pollution Lumineuse Sous Les Projecteurs

La pollution lumineuse est un facteur de perturbation de la biodiversité encore assez méconnu. Pour mieux comprendre ce phénomène, nous avons interviewé Thérèse Torrekens, chargée de mission chez Espace Environnement asbl, une organisation partenaire du projet européen Lunéfil. Ce projet, financé par Interreg, vise à aider les acteurs territoriaux à tendre vers plus de sobriété lumineuse  en conciliant la préservation de la biodiversité et les usages nécessaires de l’éclairage urbain.

Interview de Thérèse Torrekens d’Espace Environnement asbl

La Problématique de la Pollution Lumineuse et son Impact sur les Écosystèmes

[PlantC] : « On entend de plus en plus parler de l’impact de la pollution lumineuse. Peux-tu nous expliquer en quoi consiste ce phénomène et ses effets sur les écosystèmes ? »

[Thérèse Torrekens] : « La pollution lumineuse est un concept relativement récent, mais son impact est de plus en plus reconnu. Les astronomes en parlaient déjà dans les années 70, en soulignant que les halos lumineux gênaient les observations du ciel. Dans les années 90, les écologues ont attiré l’attention sur ce phénomène, en particulier sur ses effets sur les rythmes naturels des écosystèmes.
La définition que je retiens, « c’est l’excès de lumière artificielle qui altère les cycles de la lumière naturelle (journalier et saisonnier) et modifie la composante nocturne de l’environnement ».

Cet impact sur la biodiversité est encore trop peu documenté, mais on sait qu’il est largement négatif d’autant qu’environ 28 % des vertébrés et 60 % des invertébrés vivent en grande partie ou totalement la nuit. Ces espèces se sont adaptées à cet environnement nocturne pour se nourrir, communiquer, ou se reproduire. Prenons l’exemple des chauves-souris, qui utilisent l’écholocation pour se repérer dans l’obscurité, ou des lucioles qui émettent de la lumière pour attirer des partenaires. L’éclairage artificiel va avoir un impact sur ces espèces : directement ou en cascade, avec des modifications des équilibres des écosystèmes.

L’éclairage artificiel peut avoir des effets très divers : il attire certaines espèces, comme les insectes autour d’un lampadaire (ce qu’on appelle le phototactisme positif), mais d’autres, comme les chouettes ou certaines chauves-souris, peuvent être gênées par la lumière (phototactisme négatif). Elles voient leur habitat se réduire ou sont perturbées dans leurs déplacements. Comme une route peut constituer une barrière physique qui réduit les possibilités de déplacement d’une espèce, la lumière peut agir comme une barrière intangible qui réduit le réseau écologique d’un territoire. On parle de de fragmentation des habitats. Ce dérèglement perturbe aussi les relations proie-prédateur, favorisant parfois certaines espèces au détriment d’autres.

Illustration d’un éclairage adapté

Toujours en termes d’impacts sur la biodiversité, on peut évoquer la désynchronisation des rythmes biologiques, avec notamment des oiseaux qui prolongent leurs activités de nuit. Notamment les merles qui continuent à chanter la nuit en ville. Certaines espèces nocturnes, comme les papillons de nuit, sont d’importants pollinisateurs. Si ces papillons sont attirés par des sources lumineuses artificielles, cela peut perturber leur capacité à polliniser des fleurs, créant ainsi un déficit de pollinisation, avec des répercussions indirectes sur la faune et la flore diurne.

Le jour doit finalement beaucoup à la nuit ! »

L’Impact de la Pollution Lumineuse sur la Santé Humaine

[PlantC] : « Et qu’en est-il des effets de la pollution lumineuse sur la santé humaine ? Est-ce que cela a été scientifiquement documenté ? »

[Thérèse Torrekens] : «Oui, la lumière artificielle a un réel impact sur la santé humaine. Elle inhibe la production de mélatonine, une hormone clé dans la régulation des rythmes biologiques, comme le cycle du sommeil. Cela perturbe nos habitudes de sommeil et peut aussi affecter notre système immunitaire. Au-delà de l’aspect biologique, il y a aussi une dimension de bien-être plus subjective : comment nous ressentons l’environnement nocturne, notre qualité de vie dans un environnement trop (ou trop eu) éclairé.

La bonne nouvelle, c’est que la pollution lumineuse n’est pas rémanente. Elle disparaît dès qu’on en élimine les sources. C’est d’ailleurs ce que vise le projet Lunéfil : aider les acteurs locaux à réduire cette pollution tout en préservant les besoins de l’éclairage urbain. »

Le Projet Lunéfil

[PlantC] : « Peux-tu nous en dire un peu plus sur le projet Lunéfil, ses objectifs et les publics qu’il touche ? »

[Thérèse Torrekens] : « Lunéfil bénéficie du programme de financement Interreg et concerne la région de la Sambre transfrontalière. Ce projet réunit plusieurs partenaires belges et français :l’UCLouvain, le Parc naturel régional de l’Avesnois, Espaces Environnement, Agence de Développement et d’Urbanisme Sambre-Avesnois Hainaut Thiérache, la Communauté d’Agglomération Maubeuge Val de Sambre (F) et IGRETEC Charleroi Métropole.

Ensemble, nous nous engageons à adopter des pratiques d’éclairage plus sobres et respectueuses de l’environnement. Les objectifs principaux sont de développer une stratégie d’éclairage commune, adaptée aux enjeux de biodiversité, et de sensibiliser les acteurs locaux à travers des formations et des événements. Nous testons aussi des technologies innovantes et expérimentales pour créer des exemples de bonnes pratiques, notamment des systèmes d’éclairage plus efficaces et moins perturbants pour la faune. Le projet s’inscrit dans une démarche participative, où tous les acteurs – y compris les habitants – sont impliqués. Et on peut déjà observer que, même si la crise de l’énergie a forcé certaines communes à revoir leur éclairage, certaines hésitent à revenir en arrière. C’est un défi, mais c’est aussi une opportunité.
»

Conseils pour les Entreprises

[PlantC] : « Aurais-tu des conseils pour les entreprises qui se demandent comment elles peuvent agir face à ce problème ? »

[Thérèse Torrekens] : « Le but n’est pas de supprimer tout éclairage, mais plutôt d’éclairer mieux, en fonction des besoins réels. Il est essentiel de se poser les bonnes questions : Pourquoi éclairer certains endroits la nuit ? Est-ce vraiment nécessaire de laisser des enseignes commerciales allumées toute la nuit ?

L’éclairage public est souvent justifié par des raisons de sécurité, mais il est utile de s’interroger sur sa réelle plus-value au regard de ses impacts. Les liens entre éclairage et baisse de la criminalité ou des cambriolages ne sont pas clairement établis, et des alternatives comme les détecteurs de mouvement peuvent parfois être plus adaptées. En matière de sécurité routière, les effets de l’éclairage restent discutés, certains travaux suggérant qu’il peut induire des excès de vitesses sur les autoroutes.

Si un éclairage est nécessaire, il faut orienter la lumière vers le sol plutôt que de l’envoyer dans le ciel ou chez le voisin. Il existe des indicateurs comme l’indice ULOR qui permet de de quantifier la proportion de lumière dirigée vers le ciel. Il est aussi important de réduire la durée d’éclairage : faut-il laisser des lumières allumées plus d’une heure après la fermeture des bureaux ? Les systèmes de détection de mouvement ou les plages horaires adaptées peuvent aider à réduire la consommation tout en ayant un impact maitrisé sur la biodiversité.

Vous voyez un point d’amélioration ?

Le choix de la température de couleur est également crucial : privilégier des lumières plus chaudes est une option plus respectueuse de l’environnement nocturne. Et bien sûr, les entreprises ont le pouvoir de sensibiliser leurs employés : ce potentiel d’impact par « essaimage » ne doit pas être négligé.

Les entreprises peuvent aussi saisir certaines opportunités, comme lors de la rénovation de leurs infrastructures ou de la mise en place de nouveaux éclairages. Il faut éviter l’effet rebond : ne pas multiplier les points lumineux sous prétexte que les LEDs consomment moins d’énergie. Il faut saisir chaque occasion pour adapter l’éclairage de manière à limiter la facture énergétique, préserver la biodiversité et améliorer notre santé. »


Pour plus d’informations sur Lunéfil, consultez leur site web ou leurs publications.

https://sites.uclouvain.be/lunefil/