Les essences d’avenir, élément-clé d’une stratégie d’adaptation de nos forêts

En Belgique et partout en Europe, les changements climatiques impactent la santé et le fonctionnement des forêts. Dans cet article, nous abordons les raisons qui conduisent PlantC à considérer l’introduction des espèces d’arbre dites d’avenir comme l’un des maillons essentiels d’une stratégie d’adaptation qui doit permettre à nos forêts de maintenir les services qu’elles nous rendent au quotidien.

Changement climatique : des conséquences multiples pour nos forêts

Déficits hydriques

Des sécheresses successives, comme celles de 2017, 2018, 2020 et 2022, ne laissent pas suffisamment de temps aux arbres pour reconstituer leurs réserves. Si une sécheresse peut affecter le métabolisme d’un arbre, leurs répétitions, peuvent lui être fatale. Et c’est toute la forêt qui en pâtit. Or, les climatologues confirment une augmentation et une intensification des épisodes de sécheresses. Les déficits hydriques affectent le métabolisme des arbres de deux manières :

  • L’arbre voit son potentiel photosynthétique dégradé et c’est tout le cycle de production du glucose, d’où l’arbre tire son énergie, qui en est affecté. L’arbre est contraint de puiser dans ses réserves, et la succession des sécheresses ne lui permet pas de les reconstituer.
  • Le phénomène de cavitation apparaît lorsque la continuité hydraulique de l’arbre est compromise : des bulles d’airs apparaissent dans les vaisseaux conducteurs de la sève, les rendant définitivement inopérants.

Les conséquences sont déjà observées dans les peuplements avec un ralentissement de la croissance et une réduction de la masse foliaire. Peut-être avez-vous pu aussi observer un dessèchement du sommet d’un arbre généralement accompagné du redémarrage de branches inférieures ? C’est ce que l’on appelle une descente de cime.

Températures extrêmes

Elles peuvent avoir une incidence directe sur les arbres, par brûlure des aiguilles et des feuilles. De nombreuses espèces sont sujettes à brûlure lorsque le tissu foliaire atteint une température de 43°C par ensoleillement dans une atmosphère chaude. Combinées aux sécheresses, les températures extrêmes augmentent la probabilité d’occurrence des incendies. Feux de forêt dont notre pays a été relativement épargné… pour l’instant.

Des hivers plus doux … qui rendent les jeunes arbres plus sensibles au gel

Vous aurez probablement remarqué ces dernières années un automne qui traîne en longueur, des arbres qui restent en feuille plus longtemps. Les températures douces ne contribuent pas à « endurcir » le plant, qui devient alors sensible au gel lors de variations de température subites.

Des phénomènes pluvieux et venteux extrêmes plus fréquents

Si les sécheresses deviennent plus fréquentes, c’est également le cas des épisodes de précipitations intenses. Ceux-ci contribuent au lessivage des sols forestiers qui tendent déjà à s’appauvrir et à s’acidifier. Une multiplication des tempêtes et des dégâts forestiers qu’elles peuvent engendrer est également à craindre.

Une multiplication des agents pathogènes, et des arbres affaiblis

C’est la conséquence des points précédents, ravageurs et champignons voient leur aire d’extension gagner nos latitudes, ou se multiplient du fait de l’augmentation des températures moyennes. De nombreuses essences, affaiblies par les conditions climatiques, voient leur état sanitaire globale décliner.

Certaines essences indigènes à la peine

L’évolution de l’aire naturelle d’extension du hêtre (Fagus sylvatica) le pousse graduellement vers le Nord, de sorte qu’il est aujourd’hui à proscrire de bon nombre de stations forestières en Belgique, jadis propices.

Nos frênes (Fraxinus excelsior) sont massivement victimes d’un champignon, la chalarose tandis que Phytophtora s’attaque à l’aulne glutineux (Alnus glutinosa). Plus récemment, l’érable sycomore (Acer pseudoplatanus) est touché par Cryptosoma corticale, champignon responsable de la suie de l’érable.

Dépérissement du frêne chez les jeunes arbres

Essence non indigène, mais omniprésente dans la sylviculture belge, les épicéas (Picea abies) ont vu leurs peuplements ravagés par les scolytes.

Essences d'avenir : peuplement touché par les scolytes
Ex. de peuplement touché par les scolytes

Notons cependant que certaines essences, notamment indigènes, ne semblent pas négativement affectées par les conditions climatiques de ces dernières années. C’est le cas du tilleul à petites feuilles (Tilia cordata), une des rares essences indigènes qui a vu son accroissement annuel moyen augmenter.

Stratégies d’adaptation de nos forêts

Une stratégie d’adaptation de la forêt doit la conduire à amortir davantage les perturbations climatiques et sanitaires, de sorte à maintenir les services rendus par la forêt : biodiversité, régulation du cycle du carbone et de l’eau, matière première, bien-être…

Si cet article n’a pas pour ambition d’être pleinement exhaustif à cet égard, précisons néanmoins que ces stratégies font principalement appel à deux concepts :

  • Les modes de gestion. Il s’agit probablement là du principal levier d’adaptation. Depuis la moitié du siècle, la sylviculture a été principalement conduite en futaie régulière (arbres de même classe d’âge) et souvent monoculturale. En témoigne la forte proportion d’épicéas dans nos forêts, par ailleurs durement touchés par les scolytes. En vue de rendre nos massifs forestiers plus résilients, il y a lieu de diversifier les modes de gestion, en y introduisant notamment une sylviculture mélangée sous couvert continu, et en ayant recours à la régénération naturelle sur les stations où celle-ci reste indiquée.
  • La diversification des essences et l’augmentation de la diversité génétique. Face aux enjeux environnementaux, toutes les essences ne réagissent pas de la même manière. C’est en diversifiant nos forêts que nous augmentons nos chances de voir les peuplements croitre en bonne santé. C’est sur celle-ci que nous nous concentrons dans la suite de cet article.
Essences d'avenir : stratégie

Notons enfin que ces deux stratégies s’allient dans le concept de forêt mosaïque.

Migration assistée

Les glaciations ont fortement appauvri la flore européenne, qui lors de sa migration vers le Sud a rencontré des obstacles infranchissables comme la Méditerranée ou les chaînes de montagnes. Par ailleurs, les choix sylvicoles d’après-guerre nous ont conduits à favoriser très fortement certaines essences au détriment d’autres. Dans un contexte où de nombreuses essences indigènes sont à la peine, l’augmentation du potentiel génétique passe par deux voies :

  • Favoriser la migration assistée d’essences et de provenances méridionales.
  • Introduire des essences originaires d’autres continents.

La migration assistée consiste soit à accélérer le déplacement d’essences potentiellement mieux adaptées aux climats futurs, dans des milieux se trouvant en dehors de leurs aires de répartition originelles, soit à importer des plants d’essences indigènes, mais de génétique méridionale (exemple : chêne sessile du Sud de la France).

Dans tous les cas, ces essences devront pouvoir tolérer les gelées franches, qu’elles soient précoces ou tardives, qui restent et resteront fréquentes sous nos latitudes. Cet état de fait restreint significativement le potentiel de recours aux essences typiquement méditerranéennes.

Introduction des espèces : recherche scientifique et analyse des risques/bénéfices

L’introduction de nouvelles essences et provenances fait toutefois débat. Deux grandes questions émergent :

  • Quel sera l’impact sur la biodiversité et sur le fonctionnement de l’écosystème ?
  • Quelle est leur place dans nos forêts ?
Illustration d’un reboisement constitué de 5 essences, dont du chêne rouge

De plus, il faut garder en tête que le risque d’invasion ou d’impact négatif sur l’écosystème ne sera jamais écarté. L’introduction d’une nouvelle essence doit faire l’objet d’une analyse de risque et d’une évaluation de la balance risque/bénéfice.

C’est dans ce cadre que le projet de recherche Trees for Future a vu le jour. Il a pour ambition de tester différentes provenances et essences d’arbres en forêt au sein d’un réseau de parcelles expérimentales réparties à travers le pays. Les essences d’avenir étudiées actuellement sont les suivantes : le Cèdre de l’Atlas ; les chênes chevelus, chênes sessiles (d’origine méridionale), chênes de Hongrie, chênes pubescents ; le Tilleul à petites feuilles (origine différenciée) ; le Liquidambar ; le Pin sylvestre ; le Pin maritime ; …

L’objectif est d’évaluer ces essences sur différents critères :

  • Adaptation au climat actuel et futur.
  • Résistance aux ravageurs (insectes) et pathogènes (maladies, champignons).
  • Productivité et qualité du bois en vue de la production de bois d’œuvre.
  • Effet sur la biodiversité (capacité d’accueil de la faune et de la flore et risque invasif).

Stratégies d’introduction

Différentes stratégies d’introduction existent :

  • Introduire des essences indigènes de provenances méridionales. C’est-à-dire introduire un chêne sessile du Sud de la France, les risques sont négligeables.
  • Introduire des essences européennes d’origine méridionale (ex : chêne pubescent, pin maritime…). Ce sont des essences biologiquement proches de nos essences indigènes, leur potentiel biologique est similaire et le risque d’invasion est limité. Attention toutefois aux hybridations possibles surtout dans les zones où une sous-espèce endémique est présente.

Introduire des essences originaires d’autres continents. Dans ce cas-là, le risque d’invasion ne peut être écarté de prime abord. Il y a lieu de tester ces essences en parcelles expérimentales. Il est déconseillé de procéder à ce type d’enrichissement dans les écosystèmes forestiers rares (menacés ou à haute valeur patrimoniale). Le projet Trees for Future vise à minimiser ces impacts en surveillant le comportement de ces nouvelles espèces et décider leur déploiement dans nos forêts ou alors de les détruire si le risque d’invasion est trop élevé.

Forêts & biodiversité

La biodiversité en forêt dépend de plusieurs facteurs : essences présentes, l’environnement, la gestion forestière. Selon l’Indice de Biodiversité Potentiel (IBP), la biodiversité en forêt repose plus sur la structure de la forêt (et donc de la gestion forestière appliquée) plutôt que la composition des essences présentes.

Une forêt diversifiée est génératrice de ressources nourricières et de refuges diversifiés également.

Un peuplement composé d’essences non indigènes peut potentiellement avoir un bon accueil de la biodiversité. De manière évidente, il y a lieu de croire que l’accueil de la biodiversité restera plus élevé dans un peuplement composé d’essences indigènes, qui ont co-évolué pendant des milliers d’années avec la faune et la flore locale. Mais quid de cet état de fait dans un climat où les aires de répartition naturelles des espèces ne cessent d’évoluer ?

Le positionnement de PlantC sur les essences d’avenir

Les effets des changements globaux sont visibles tant en forêt qu’en agriculture. L’une des raisons d’être de PlantC est de contribuer à la résilience de nos territoires agricoles et forestiers, en considérant la place de l’Humain dans son écosystème.

PlantC regarde donc vers l’avenir en considérant que, face aux incertitudes climatiques, sanitaires, il est urgent d’expérimenter, sans jouer aux apprentis sorciers. Il nous semble être de notre devoir de considérer pleinement toutes les stratégies d’adaptation de notre forêt, tout en considérant les risques et questionnements qui persistent. Nous restons donc en veille constante sur les résultats issus des programmes de recherche tant belges qu’européens.

Sources :